Vera Sancrum Interview VF

De Nordwaves
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Interview de Yves en octobre 2014 pour le site italien http://www.versacrum.com/vs/2014/10/guerre-froide.html

Version Française :



Q : Comme vous êtes un groupe important de la cold, poudrais tu nous décrire les premières années de Guerre Froide?

R: En 1980, j'étais le chanteur d'un groupe post-punk qui s'était formé en 1978 à Amiens. J'ai intégré ce groupe en septembre 1979 quand il s'appelait Banlieue Nord. Quelques mois après il s'est appelé Stress. C'est Patrick Mallet, le frère du guitariste, qui a trouvé ce nom. Début 1978, j'avais déjà eu l'occasion de former avec Patrick un groupe punk appelé Genocide (en référence à l'album Diamond Dogs de David Bowie dont l'une des premières phrases est : “This ain't rock'n roll, this is genocide !”).Tous les 2 punks à l'origine, Patrick et moi écoutions toutes sortes de musiques autres que du punk ou de la new wave, surtout les premiers groupes post punks et industriels anglais et américains. En discutant avec Gilbert Deffais, un ancien ami aussi membre de Genocide, nous avons eu l'idée de former un groupe d'un style entre Cabaret Voltaire et Wire dont nous étions tous fans. C'est Gilbert qui a trouvé le nom de Guerre Froide et qui a acheté un boîte à rythmes Korg. Nous avons été rejoints par un ami commun, Fabrice Fruchart, que le projet intéressait. Il avait une guitare avec un synthé Korg MS 20. Nous avons commencé à 4 à composer des titres en juin 1980. Nous répétions dans la même cave que Stress et nous avons enregistré une demo 4 titres environ 1 mois après la naissance du groupe. Nous avons ensuite édité à 50 exemplaires une K7 autoproduite avec des démos et des extraits de notre 2ème concert (Cicatrice) sur le label que j'ai créé, Cryogénisation Report. Tout était fait à la maison (découpages, assemblages, photos, gadgets, ...). DIY ! Elle s'est vendue très rapidement. Pendant presque 1 an, j'ai fait des concerts où, le même soir, je chantais dans Stress et ensuite dans Guerre Froide. Pendant ce temps Jean-Michel Bailleux, un fan de Guerre Froide, est venu jouer la basse que ne voulait plus tenir Patrick qui préférait la guitare. Au printemps 1981, j'ai quitté Stress. En juin 1981, Fabrice est parti dans le Nord de la France à Lille et a arrêté la musique. La femme de Gilbert, Marie-José, a eu envie d'intégrer le groupe et a acheté un synthé Roland, pendant que Gilbert achetait une boîte à rythmes Roland également. Nous avons donc créé d'autres titres à 5 musiciens. Le groupe commençait à être connu partout dans le Nord de la France mais aussi un peu à Paris. Un ami du groupe, Sylvain Soufflet, nous a alors proposé de produire intégralement un 12” 4 titres à 1000 exemplaires, en payant le studio, la gravure, le pressage et la pochette. L'enregistrement a eu lieu à l'automne 1981 en banlieue de Paris. Le vinyle est sorti en novembre et s'est très vite écoulé dans le Nord et l'Est de la France. Notre public grossissait, mais nous étions presque toujours obligés d'organiser nous-mêmes nos concerts parce qu'à cette époque peu de gens s'y risquaient ... C'est ainsi que nous avons rempli une église désaffectée en mai 1982. Nous avions invité un autre groupe post-punk/cold wave de Lille qui nous a ensuite invités chez eux. Il y a eu un gros festival avec la ville d'Amiens le 13/ 06/1982, puis l'été est arrivé et les problèmes avec ... Je ne parlerai pas de cela parce que c'est trop personnel (!) et qu'après ça, en septembre, Guerre Froide s'est arrêté sans véritable explication.

Q : Après votre séparation, tu t'est dédié a d'autres projets, soit musicaux, soit écrits (INTERPRETATION SUBJEKTIVE, par exemple) peux tu nous en parler?

R : Non, Interprétation Subjektive était déjà un fanzine créé pour les fans de Guerre Froide et écrit par les membres du groupe. Il était distribué gratuitement au public qui venait à nos concerts. Les exemplaires de chaque édition étaient numérotés et il y a eu 4 ou 5 éditions en 2 ans. Ensuite je l'ai continué tout seul ou en invitant des musiciens amis pendant 2 éditions successives, avant et pendant l'époque où j'ai créé avec Alain Delseux le duo industriel expérimental Gegenacht qui a duré d'avril 1983 à septembre 1984. Entre-temps je suis parti vivre à Paris et, en 1985, j'ai passé du temps à autoproduire une autre K7 de Guerre Froide contenant des démos et d'autres titres en concert (Archives), toujours du DIY. Puis en 1986, j'ai retrouvé de passage à Amiens le premier guitariste de Guerre Froide qui voulait refaire de la musique. Un ami bassiste, Philippe Buteux, s'est joint à nous pour fonder Pour l'Exemple. Après avoir sorti une K7 de démos, nous avons enregistré un 12” 4 titres en novembre 1988. Fabrice Fruchart a soudain quitté le trio 1 mois après la sortie du vinyle ... Personne ne l'a remplacé et nous avons continué en duo dans un style minimal/ electro-clash. Une K7 a été produite courant 1992 (E pericoloso ... ) et le duo s'est séparé fin 1992. C'est là que j'ai arrêté d'écrire des chansons pour un certain temps ...

Q : J'aimerais aussi connaitre comme est née et comme s'est développée l'idée de reconstruire le groupe.

R : Il se trouve que les hasards de l'existence m'ont amené à venir vivre à Lille, où se trouvait donc Fabrice Fruchart. Ainsi, nous nous croisions fréquemment dans les lieux de concerts que nous fréquentions et des amis communs nous demandaient parfois quand donc allions-nous refaire quelque chose. Un jour Fabrice a émis l'idée de refaire “un truc” ensemble. Je me suis dit pourquoi pas, bien qu'il ait déjà par 2 fois quitté un groupe ... Nous avons commencé à répéter chez moi vers l'an 2000. Puis Fabrice a eu un accident domestique qui l'a maintenu immobilisé pendant assez longtemps (problèmes de dos). Tout s'est alors arrêté à nouveau ! Quelques années plus tard, alors que je venais d'apprendre que le 12” de Guerre Froide avait été réédité par un label allemand sans que Patrick, Fabrice et moi-même en soyons avertis (puisque c'est Gilbert Deffais qui a négocié tout seul avec Genetic Records !), des gens nous ont à nouveau demandé pourquoi Guerre Froide ne se reformait pas, car il y avait manifestement l'attente d'un public qui ne nous connaissait que de réputation. Le véritable déclencheur a été la rencontre de Fabrice avec Emmanuel Delmarre, un grand fan, pendant un concert des Young Gods en 2006. Emmanuel a convaincu Fabrice que Demain Berlin était devenu un vrai tube post-punk. Fabrice m'a téléphoné quelques jours après et nous avons commencé à répéter chez lui au mois d'avril avec des textes de chansons que j'avais écrits pendant un séjour à la montagne en mars 2004. Nous pouvons dire merci à Emmanuel qui est depuis un proche ami, d'autant plus qu'il est le manager du groupe ! Quel amour pour ce qu'on a fait, quelle force, quelle idees sont necessaire pour pursuivre dans le silence le destin d'un groupe pendant 25 ans ?Dès lors que l'on aime la musique, quelle qu'elle soit, ça peut vite devenir un besoin vital de s'exprimer par elle. En tout cas ce fut le cas très tôt en ce qui me concerne. Mais pour revenir après 25 ans avec le même type de musique tout en y croyant comme avant, il faut certainement une bonne dose de naïveté couplée à une sincérité absolue. J'ai cependant été 13 ans sans pratiquer la musique autrement que chez moi avec une vieille boîte à rythmes Roland et un vieux clavier Casio, uniquement pour dire des textes sur des airs improvisés. C'est comme ça que j'ai créé la base du chant de St Ex. Sinon, je ne sais pas pourquoi il y a eu cette reconnaissance tardive de la musique de Guerre Froide. C'est le lot de pas mal d'artistes, musiciens, plasticiens ou écrivains de n'être pas acceptés au moment où cela serait nécessaire pour que la création puisse s'installer dans le temps et durer ... Notre démarche actuelle, c'est peut-être le sentiment d'avoir un peu notre revanche sur un destin trop facétieux, tout en ne nous prenant pas trop au sérieux. En effet, quelle importance ça a tout cela 25 ans après ... La gloire n'a pas été et ne sera jamais au rendez-vous !

Q : Quelles sont, pour toi, les différences les plus importantes parmi les premiers années et les annèes depuis votre retour sur scene?

R : La différence est essentiellement technique, dans tous les domaines : les instruments et les techniques, la diffusion et la communication. Le début des années 80 était encore analogique, alors que nous nageons dans le tout numérique. Nous n'avions pas internet et tous ces réseaux sociaux actuels. Donc, le son de l'époque était forcément tout autre. C'est d'ailleurs ce son que recherchent maintenant certains groupes ! Quant aux moyens de se faire connaître, il n'y avait guère que les journaux et les magazines papier qui pouvaient éventuellement parler de nous. Sinon, il fallait avoir des relations avec des gens dans les radios ou à la télé. Mais ça, ça n'a pas changé !

Q : Vos pochettes et images sont très '80, avec cette aune décadente d'usines abandonnées, froids paysages urbains, et vous utilisez aussi des vidéos pendant les concerts... dis nous quelque chose sur la côté visuel de votre projet.

R : Nous avons été, je pense, parmi les premiers en France à projeter des images pendant nos concerts. Il s'agissait de diapositives ou de films en 16 mm. Ensuite dans les années 80 il y a eu l'explosion de l'image musicale sous forme de clips vidéo ou de vidéos faites pour les concerts. Tout le monde s'y est mis, avec plus ou moins de talent. Depuis, c'est presque une faute de ne pas avoir d'images projetées derrière un groupe pendant sa prestation. En ce qui concerne Guerre Froide, j'ai toujours été intéressé par le rapport signifiant / signifié qui fait que ce dont on parle n'apparaît pas forcément comme étant ce que l'on voit réellement. D'ailleurs je présentais les 2 ou 3 premiers concerts en disant : “Guerre Froide, des images – Interprétation subjective”. En gros, il ne faut pas que les images soient une simple illustration des paroles des chansons. Il faut qu'il y ait un autre niveau de lecture, un vision en décalage. Ou alors il faut qu'il y ait une forte valeur artistique ajoutée ! Actuellement, nous projetons encore des vidéos bricolées à la maison par Fabrice, à base d'images personnelles ou puisées qui sont ensuite retravaillées dans l'optique d'avoir l'esprit Guerre Froide. Peut-être que l'atmosphère générale de nos images est restée plus ou moins la même depuis les origines du groupe. Ce n'est pas une démarche vraiment consciente si c'est le cas ... Nous avons pourtant l'impression de nous renouveler, musicalement tout du moins, même si la base reste plutôt la même.

Q : Beaucoup de monde dit “sans la musique je.....”, que est ce que est la musique pour vous, et parce que est elle si importante?

R : Pour moi : Music is your only friend, until the end ... (Jim Morrison) Et voir la réponse à la 4ème question.

Q : quels artistes vous inspirent ?

R : Je ne pense plus que les influences littéraires et musicales sont les plus importantes. Certes, dès le début de Guerre Froide, Arthur Rimbaud était présent dans la démo avec Départ. On l’a retrouvé ensuite dans le 1er album avec L’éternité. C’est comme un fil rouge qui n’apparaît pas de façon flagrante dans mon écriture. Il en est de même pour Charles Baudelaire que l’on retrouve dans le 3ème album avec Enivrez-vous. C’est juste un clin d’oeil poétique, une référence culturelle. Disons que j’admire beaucoup d’écrivains, mais que je n’ai pas de maître véritable. C’est pareil pour la musique. Les 3 membres du groupe ont tous des goûts très différents et variés, qui parfois se croisent, mais ne nous portent pas à faire de la musique “à la façon de”. Personnellement, je reste fan de Bowie et du Velvet Underground, tout en l’étant d’Einstürzende Neubauten et de Joy Division que j’ai connus dès leurs débuts. A la limite donc, je dirai que pour l’écriture, je suis peut-être plus influencé par le cinéma ou la bande dessinée d’auteur.

Q : Quels sont les sujets de vos chansons ?

R : Ce sont des sujets universels que tout le monde aborde dans n’importe quel groupe : l’amour; le rapport au monde, à la nature, aux autres, à la politique, à la religion; ce monde qui va mal, la solitude post-moderne ...

Q : Y a t'il un message, des idées que vous aimerez soient transmis par votre musique?

R : Je n’aime pas le qualificatif de groupe à message qu’ont certains musiciens que l’on dit engagés. Pour moi, l’engagement implique le passage à l’acte. On ne peut pas se dire engagé et se contenter de dénoncer en paroles toutes les abominations qui se déroulent sur la planète. Etre un donneur de leçons ne m’intéresse pas, je veux simplement soulever des interrogations d’ordre socio-politique en écrivant d’une manière poétique parfois allégorique. Je crois aux vertus de la résistance et de la révolution, mais je ne suis pas sûr que cela suffisse à éviter le pire ... Comme le disait Francis Bacon, je suis optimiste, mais sur rien !

Q : Le post punk, la cold wave sont des mouvements héritiers du punk, l'essence des mots “No future” que en pense tu?

R : Ce n’est pas moi qui dirait le contraire, puisque j’ai adhéré d’emblée au mouvement punk de 1976. A cette époque (dernier quart du 20ème siècle !), c’était au début presque une philosophie ce “No future”. Et puis comme beaucoup d’idées libertaires, la part d’utopie qu’elle renfermait s’est dévoyée en exploitation commerciale de la rébellion ... Ce qui n’empêche pas que certains n’en sont pas ressortis indemnes de la perte de certaines illusions, d’autres en sont même morts ... Le retour à la réalité socio-politique a été rude et c’est peut-être pour cela que sont nés des cendres du punk ce qu’on appelle aujourd’hui le post-punk et la cold wave, qui sont tous les 2 (surtout la 2ème) basés sur une certaine désespérance !

Q : Je vois la cold wave (cette entretien sera en Italie, ou cette subtile différence n'est pas si connue) comme la déclinaison la plus existentialiste de la new wave, es-tu d'accord avec cette affirmation ?

R : La new wave a apporté l’envie d’une recherche de nouvelles formes et de nouveaux sons. Mais l’atmosphère qui s’en dégageait était en général assez consensuelle et a vite été l’objet d’une exploitation commerciale, car le fond et le discours proposés ne brusquaient pas trop la multitude, contrairement à la vague punk précédente. Par contre, l’approfondissement de sujets universels par le prisme d’influences culturelles diverses s’est vite montré la marque de fabrique des groupes cold wave. Les textes de ces groupes se sont voulus plus introspectifs, plus chargés de références, plus poétiques, moins légers et moins faciles d’accès peut-être ... Je pense de ce fait qu’on peut qualifier la cold wave de mouvement proche de l’existentialisme.

Q : Réponds à cette citation de Ian Curtis s't.p. “Existance well, what does it matter”

R : La durée d’une vie humaine ordinaire est tellement insignifiante, par rapport à l’âge de la planète et à tout ce qui a déjà précédé la race humaine. Alors, l’existence humaine, après tout qu’est-ce que ça peut faire ou qu’est-ce que ça signifie ! Pour moi, seule l’enfance vaut vraiment la peine d’être vécue, à condition qu'elle soit vécue dans des conditions décentes. Tout ce qui vient après, ce n’est que du remplissage temporel d’êtres qui passent leurs jours à se créer des problèmes et à en affronter d’autres dans une recherche effrénée d'amour et/ou de richesses ...

Q : Est-il étrange d'être connus à l'étranger pour un groupe qui utilise les textes en français?

R : C'est toujours assez étonnant de se dire que l'on touche l'esprit d'un public qui ne connaît pas forcément notre langue et qui ne la pratique certainement pas. Nous sommes surtout connus dans des pays qui ont également des racines latines, comme précisément l'Italie !Mais il est vrai qu'il y a aussi des fans dans les pays de l'Est ... En ce qui nous concerne, le fait que la cold wave soit profondément ancrée en France est une explication assez rationnelle de notre diffusion à l'extérieur.

Q : Vous jouerez, pour la deuxième fois en Italie début décembre, quels souvenirs de la première fois chez nous?

R : C'était une grande nouveauté pour nous : nous n'avions joué jusqu'alors que dans les pays du Nord (Belgique, Pays-Bas, Allemagne) et en France. Nous sommes arrivés à Milan en TGV et l'accueil a été très chaleureux. L'organisation et la salle étaient excellentes ! Nous n'avons malheureusement pas eu le temps de découvrir un peu la ville, car il y avait des problèmes de circulation et en plus il pleuvait ce jour à (comme chez nous) ! Le public du concert était très réceptif lorsque nous avons joué avant Madre del vizio. Nous avons donc passé un très bon moment sur scène ! J'avoue que la perspective de jouer 2 soirs de suite dans 2 villes italiennes différentes me plaît beaucoup et je suis certain qu'il en est de même pour tous les membres de Guerre Froide.